Objectivement, peut-on
écrire quoi que ce soit d’objectif sur le travail de sa propre sœur ? Par
où commencer ? Peut être en posant dès le départ que ce travail n’a
justement rien à voir avec un travail objectif. C’est même le contraire. Le travail
de Valérie relève du subjectif. Complètement. Totalement. Depuis toujours. Le travail
subjectif de Valérie va et vient donc de ce qui relève uniquement du sujet
défini comme être, comme volonté, comme énergie, comme souffle, comme essence,
comme air, comme vie, comme esprit de ce temps. Comme conscience individuelle
de ce qui se fait et se déroule devant nos yeux, sous notre nez, derrière nos
oreilles, au pied de nos mains et à la portée de nos papilles. Ainsi le travail
subjectif de Valérie est avant tout sensoriel.
Dans ma mémoire, il y a
des galets peints. C’est à l’adolescence. Des galets choisis roulés, polis,
nettoyés et vernis. Des galets colorés. Des galets qui avec un œil, qui avec un
nez, qui avec une oreille, qui avec une main, qui avec deux lèvres. Des galets
ramassés comme Valérie ramasse tous ces objets, depuis toujours. Des galets, du
bois flotté, des sacs de riz vides, des magazines, des journaux, du papier, par
milliers de feuilles, crépon, buvard, bristol, vergé, vélin, de soie, de verre.
Du carton et encore du bois flotté. En provenance de l’embouchure du Rhône.
Après Salin vers Piemanson ou plus haut vers La Gacholle. Ma sœur y a
ses fidélités. Le fleuve, son embouchure et le travail de ma sœur. Si l’on y
regarde bien, elle procède comme le Rhône. Elle gratte ici, emporte là, charrie
au gré de ses envies et de ses inspirations. Elle dépose ici, reprend là et
navigue au cœur d’une œuvre multimodale et myriapode.
Ma sœur a- t-elle des
Maîtres ? Posez la même question à Jean Dubuffet et il se sera fâché. Jean
Dubuffet se fâchait souvent. Pas ma sœur. Mais Jean Dubuffet savait écrire. Par
exemple : « Nous entendons par art brut des ouvrages exécutés par des
personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme,
contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part,
de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en
œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur
propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode.
Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans
l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres
impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et
non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. » Comme
ma sœur : « Ma Muse ne se répète jamais, à personne!
Elle est décoiffée ou
rasée ou tatouée-pieds nus. Elle efface les frontières et tisse sous la cendre
de toutes douces braises! La rusée satellite puise dans le calice, la mine
d'or-Broderie de peaux... Dans le trou profond où sont juchés mes doutes et mes
désirs, elle y regarde avec son âme aux yeux bleus. Elle peut y crever les
craintes et les détours et m'aligner.
Ma muse vient parfois de
tous ».
Ses Maîtres sont ainsi
partout puisqu’ils viennent de tous. De vous. De moi. De ses filles. De ses
amours. De ses amis. Des enfants, des jeunes, des adultes qu’elle accompagne.
Le travail de ma sœur s’oblitère par le sensoriel et s’emmène vers le
sentiment. Les émotions. Regardez ses encres. Elle démarre par la couleur, puis
l’encre, puis verse de petits morceaux de réel. Du dessin. Parfois des collages. Et le reste. Sur du
papier. Toujours choisi. Puis des couleurs. La plupart du temps qui explosent.
Ou bien qui s’enroulent comme des volutes passionnelles, des serpents
mélancoliques et multicolores, des nuages qui supportent une pluie rouge de
chagrin, des oiseaux imaginaires et radieux, leurs yeux bien ouverts. Regardez le
détail, la précision, sa peinture est une broderie et si elle devait dessiner
un souffle vous en verriez les cils vibratiles. Mais regardez encore et voyez
la couleur qui saute, détonne et éclate. Le souffle se fait sang. Plasmatique.
Et l’hémoglobine est bleue comme parfois sont les doutes, les amours déçues,
les rêves abandonnés, les espoirs oubliés.
Ou jaune. Ou verte. Et bien sur rouge. Comme un joli béguin. Un
engouement soudain. Ou une ivresse entêtante.
Des sens et des sentiments, tel pourrait être le nom du fleuve qui charrie
les œuvres de ma sœur : des dessins, des encres, des gouaches, des
aquarelles, des pastels, des collages, des sculptures, des pliages, des amas,
des agrégats et des poèmes. Par dizaines.
L’expression « art
brut », inventée par Jean Dubuffet renvoie parfois à quelque chose de grossier, de
rustique ou de brutal ce qui est tellement éloigné du travail de Valérie. Mais
elle renvoie aussi à une œuvre sauvage, fière, indomptée et obstinée. Une œuvre
joyeuse. Une œuvre faite à la vie comme on pourrait écrire « ode ».
Un poème donc. Un long poème coloré et sinueux, une vague bariolée, toujours
rehaussé d’une rime riche comme d’un ornement, d’une enluminure, là ou ici,
tout en haut tracée finement, ou tout en bas comme dans le nom de ce tableau qui
date de 2009, que l’on trouve sur l’un de ses blogs et qui pourrait, de mon
point de vue, résumer toute son œuvre : un moment d’émerveillement.
Bruno Auer
3 commentaires:
C'est beau à pleurer!!
tout ça pour dire que ta sœur est un ange?
Bonne année à toi !
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